Chronique
Opinion

Bilan à mi-année et perspectives pour 2023

Le premier semestre 2023 s’est achevé sur une belle accélération haussière. Les indices boursiers en tête ont également de redonné des couleurs aux marchés actions au cours des mois précédents. Les indices return NASDAQ, FANG et S&P Composite ont enregistré des bénéfices semestriels respectifs (en USD) de 35 %, 70 % (!) et 14 %. 

Les homologues européens ont également affiché des performances plus que satisfaisantes au cours de la période, avec notamment une hausse de 11 % de l’indice global STOXX 600, avec un rôle de premier plan notamment pour les valeurs industrielles, le secteur technologique et la composante financière, qui ont progressé respectivement de 20 %, 28 % et 18 % au cours des six derniers mois. Malgré leur pondération limitée, le transport de marchandises et la logistique (+33 %) ainsi que l’industrie des loisirs (+26 %) ont joué plus qu’un simple rôle secondaire dans la hausse de l’indice boursier de la zone euro. 

Graphique 1 : Évolution de quelques indices boursiers depuis le 01.01.2023 : Indice return en euros" "

Après de telles hausses, il est cependant difficile de considérer que les actions sont encore bon marché. Au contraire, les marchés boursiers anticipent largement les futurs développements financiers, économiques et géopolitiques. Ce n’est probablement pas injustifié, mais cela rend les marchés boursiers vulnérables aux corrections intermédiaires.

Le semestre dernier a été le reflet des évolutions boursières au cours de l’annus horribilis précédente, au cours de laquelle toutes les entreprises axées sur la croissance ont été injustement sanctionnées. Cependant, la vengeance pour cette humiliation a été au moins aussi puissante, ce qui a permis de récupérer une bonne partie de la baisse précédente de 2022 en relativement peu de temps. Le retournement le plus frappant est cependant venu de l’indice FANG. Encore décrit comme un ballon dégonflé en 2022, il se trouve désormais tout près de son niveau record de novembre 2021, après un recul spectaculaire. 

L’indice boursier mondial (MSCI world index, rendement en euros) parvient, moyennant un dernier petit pas, à effacer toutes les pertes de cours depuis le début de l’année 2022. Les indices NASDAQ et S&P ont également un léger retard à rattraper. Les indices boursiers européens généraux enregistrent même un léger bénéfice sur cette période. Cependant, en les comparant mutuellement, la performance boursière sur une période de 5 ans indique encore une différence de plus de 50 % en faveur des États-Unis.

À quelques rares exceptions près, les marchés boursiers se situent aujourd’hui (largement) au-dessus du niveau de cours atteint à la veille de l’invasion russe, le 24 février 2022. Cela donne à réfléchir sur la situation dans laquelle nous aurions pu nous trouver si cette barbarie sans issue avait été évitée. 

Le marché boursier chinois, qui affiche une perte de 25 % depuis le début de l’année 2022, se distingue notablement parmi les retardataires. Cela s’explique en partie par la faiblesse du renminbi par rapport au dollar américain et à l’euro. Les marchés boursiers du géant rouge étaient autrefois considérés comme des marchés de croissance de choix pour l’avenir, mais l’économie chinoise s’est enlisée ces dernières années dans une économie planifiée rigide, un grand-écart géopolitique et - surtout - une évolution démographique complètement déséquilibrée. À moins d’un changement aussi radical qu’improbable sur le front politique, il est peu probable que la situation s’améliore à court terme.

Pour faire face au dramatique déclin démographique, l’ancien modèle de réussite, le modèle économique autrefois prospère basé sur la fabrication en masse de produits bon marché, a dû être transformé en une économie basée sur les secteurs des services et les produits à plus forte valeur ajoutée. Cette transformation n’a pas été réalisée en temps voulu.

Il est également frappant de constater que la Chine semble être à l’abri de la vague d’inflation qui fait des ravages ailleurs. Même l’inflation des denrées alimentaires en Chine ne connaît qu’une augmentation très modeste. Cela permet au gouvernement chinois de continuer à orienter son taux d’intérêt officiel à la baisse et de réduire encore davantage le ratio de réserves de ses banques, dans l’espoir de stimuler son économie. 

Pour les investisseurs, ce n’est provisoirement pas suffisant pour revenir sur le marché boursier chinois. En effet, il n’est pas possible d’inverser l’impact considérable de la politique de l’enfant unique par quelques baisses de taux d’intérêt, de sorte les mesures prises ne font qu’affaiblir davantage le taux de change chinois. Par conséquent, l’indice boursier chinois a été incapable de profiter de la récente hausse des cours dans les pays occidentaux. 

Les cours des actions aux États-Unis et en Europe se sont accélérés ces derniers jours après que l’indicateur d’inflation préféré de la banque centrale américaine  n’ait montré qu’une progression modérée. En soi, ce n’est pas du tout surprenant, mais les marchés financiers ont réagi avec soulagement car des doutes avaient été semés ces dernières semaines par les (énièmes) commentaires confus des gouverneurs de la Fed et, surtout, par la récente et énigmatique révision à la hausse de l’évolution attendue par la banque centrale de l’indice PCE (Prix de base de la consommation des particuliers). En réalité, cette dernière s’est avérée totalement exagérée.

Graphique 2 : Inflation sous-jacente aux États-Unis : PCE, CPI et PPI

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Malheureusement, cela ne signifie pas que la banque américaine ajustera la trajectoire ascendante anticipée de son taux directeur. Afin d’éviter à tout prix d’être accusée d’avoir réagi beaucoup trop tardivement à la hausse des indicateurs d’inflation et d’avoir ensuite arrêté beaucoup trop rapidement le resserrement de sa politique, l’équipe de l’administration actuelle de la Fed préfère prendre quelques mesures excessives.  

Avec les relèvements supplémentaires prévus (notamment de 25 points de base en juillet, probablement suivis d’un autre quart de pour cent en septembre  ), la banque centrale ne fait qu’alimenter davantage l’inflation sous-jacente. En effet, la hausse des coûts de financement pour les entreprises reste le seul élément contribuant de manière substantielle à une accélération de l’indice des prix. 

La baisse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires compense les coûts de financement dans l’indice d’inflation global, mais ne peut par définition pas le faire dans l’indice de base  . Les autres composantes des prix incluses dans les indices CPI et PCE de base ne diminuent pas assez rapidement pour compenser l’augmentation des coûts financiers. 

Cette situation pèse particulièrement lourdement sur le marché du logement, où la hausse exponentielle des taux hypothécaires fait grimper les loyers en flèche. Pourtant, le secteur de la construction ne fléchit pas sous ce poids. Au contraire, l’activité de construction reprend, créant des emplois supplémentaires, et les prix de l’immobilier semblent même repartir à la hausse après la légère baisse précédente. En Europe également, la baisse des prix de l’immobilier reste bien contenue, malgré la forte hausse des taux d’intérêt à long terme et la conjoncture économique relativement faible. 

Graphique 3 : Évolution de l’activité de construction et des taux hypothécaires aux États-Unis

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 Pendant ce temps, la BCE suit l’exemple de son homologue américaine et relèvera vraisemblablement les taux directeurs européens en deux nouvelles étapes d’un quart de pour cent, la principale motivation étant que l’inflation sous-jacente reste trop élevée en raison de la solidité supposée de l’économie. Ce dernier point est très surprenant car aucun indicateur économique récent ne va dans ce sens, que ce soit de ce côté-ci ou de l’autre côté de l’Atlantique. Dans la zone euro, l’indice de surprise  pointe même dangereusement vers le bas. Aux États-Unis, les secteurs industriels continuent de se contracter de manière inquiétante.

Graphique 4 : Indice ISM manufacturier aux États-Unis et indice de surprise dans la zone euro

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L’erreur de raisonnement réside dans le fait que les banques centrales confondent la vigueur du marché du travail (reflétée par le taux d’emploi élevé) avec un robuste momentum économique. Cependant, le faible taux de chômage doit être entièrement attribué aux changements démographiques substantiels résultant du départ massif à la pension de la génération baby-boom. Leur départ n’est pas compensé de manière adéquate par les nouveaux arrivants sur le marché du travail, ce qui crée une pénurie de main d’œuvre. 

C’est d’ailleurs pourquoi l’automatisation (et tout ce qui va de pair, comme la robotique, l’IA, les applications Cloud, les nanotechnologies et les semi-conducteurs spécialisés) se voit accorder une place importante dans la sélection thématique des actions. La vigueur du marché du travail soutient également la capacité de consommation, tandis que les baby-boomers dépensent volontiers de l’argent pendant leur temps libre. Notre deuxième thème d’investissement préféré est donc évident : les dépenses de consommation dans les catégories de prix supérieures.  

De plus, le nombre relativement élevé de nouveaux emplois créés au cours des deux dernières années est largement dû à un effet de rattrapage après la destruction massive d’emplois au plus fort de la crise du coronavirus. Les hausses de taux d’intérêt n’ont aucun impact sur cette situation, de sorte que les banques centrales (continuent à) causer des dommages économiques et financiers inutiles. 

Cependant, l’économie refuse de s’avouer vaincue et les marchés boursiers se redressent. En effet, le niveau maximal des taux d’intérêt directeurs est en vue, le ralentissement économique restera relativement limité et une phase de reprise économique pourrait s’amorcer à partir du quatrième trimestre 2023. Par conséquent, les résultats des entreprises renouent avec la stupéfiante trajectoire de croissance observée avant la maudite année 2022. Une trajectoire ascendante sur laquelle les cours des actions ont atteint à chaque fois de nouveaux niveaux record. 

Toutefois, ce scénario positif est déjà intégré dans une large mesure dans les cours actuels des actions et sera régulièrement mis à l’épreuve au cours des prochains mois. Les marchés boursiers américains et européens se projettent plus loin que jamais dans le futur et semblent ignorer le ralentissement économique imminent. Cette position audacieuse ne dissimule cependant pas le fait que les marchés boursiers sont actuellement valorisés avec une grande précision, ce qui signifie que les investisseurs doivent tenir compte de corrections intermédiaires, en particulier si les chiffres économiques s’avèrent décevants et si l’inflation sous-jacente diminue (encore) plus lentement que prévu. 

Seule une baisse substantielle des taux d’intérêt (résultant de la dissipation des craintes inflationnistes) pourrait redonner une base solide aux valorisations boursières actuelles. Cependant, les marchés financiers partent du principe que les taux d’intérêt ont peu de potentiel de baisse dans les mois à venir, alors que les primes de risque  sont actuellement historiquement basses. 

Graphique 5 : Prime de risque attendue aux États-Unis

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La croissance attendue des bénéfices des entreprises est donc le seul facteur susceptible de motiver les marchés boursiers à poursuivre leur trajectoire ascendante. C’est pourquoi en 2023, ce sont principalement les actions de qualité et axées sur la croissance qui parviennent à enregistrer les meilleures performances. Une fois de plus, la progression des actions bon marché affichant un faible ratio cours/bénéfice s’est avérée de courte durée  . Nous pensons que cette tendance pourrait se poursuivre au cours des prochains mois, mais avec moins de vigueur. À moins que l’inflation sous-jacente ne cède le pas plus tôt que prévu…. 

La bonne combinaison de styles d’investissement  a été le facteur distinctif au cours des cinq dernières années de turbulences. L’analyse d’une centaine de fonds d’investissement neutres affichant un profil d’investissement neutre révèle que les fonds ayant obtenu la meilleure performance d’investissement se sont toujours classés dans le top 5 lorsqu’on mesure l’exposition aux indices et aux facteurs les plus performants : FANG, technologie, qualité, actions axées sur la croissance et, plus spécifiquement dans ce dernier groupe, les actions à grande capitalisation. 

Dans le cas des accents et des facteurs sous-performants, les gestionnaires impliqués ne se sont jamais (ou rarement) montrés à la hauteur : marchés émergents, actions à petite capitalisation, zone euro, valeur et momentum. Au cours du dernier semestre, un scénario quasi identique à celui des cinq dernières années s’est répété.  En s’en tenant à une telle sélection, il y a certainement eu quelques moments de frayeur en 2021, mais cette crainte a été largement récompensée dans l’intervalle. 

Avec beaucoup d’audace et de persévérance, les marchés boursiers ont réussi à retrouver une trajectoire ascendante malgré le chaos invraisemblable qui s’était installé depuis le début de cette décennie maudite.  En revanche, les obligations sont restées à la dérive sur les bas niveaux de cours auxquels elles étaient retombées après les hausses vertigineuses des taux d’intérêt à long terme en 2022.  

Les hausses brutales et inattendues de ces taux ont entraîné des pertes de cours extrêmes, plongeant les investisseurs défensifs dans le désespoir et le désarroi. Depuis le début de l’année 2022, les obligations d’État européennes ayant une échéance comprise entre 7 et 10 ans ont perdu un quart de leur valeur, une situation sans précédent dans la période de l’après-guerre.  

Graphique 6 : Évolution de l’indice obligataire (zone euro) et de l’indice MSCI EMU (indice return)

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 La reprise des cours sur les marchés obligataires a été insignifiante en 2023 et s’est poursuivie dans une bien moindre mesure que ce qui était espéré. La cause principale réside dans l’inefficacité des politiques de la (des) banque(s) centrale(s) et l’inflation sous-jacente récalcitrante. Les pertes les plus prononcées ont été enregistrées au Royaume-Uni, en raison de la combinaison fatale du chaos politique et de la hausse de l’inflation, également alimentée par l’impact inflationniste du Brexit. Mais la zone euro a également été durement touchée, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie comptant parmi les pays les plus affectés. 

Contrairement aux indices boursiers, les obligations n’ont pas réussi à se redresser après l’invasion russe. Pire encore, les pertes se sont même aggravées. En moyenne, les trois quarts de la baisse des cours des titres à revenu fixe se sont même produits après le 24.02.2022. 

Cependant, une fois que le pic des taux directeurs des banques centrales est en vue, le bout de ce sombre tunnel se profile également. Cependant, cette réalité est encore trop éloignée dans le temps pour inspirer dès maintenant les marchés obligataires. Tant que l’inflation sous-jacente ne se corrige pas de manière convaincante à la baisse, il restera difficile de réaliser les substantielles baisses des taux d’intérêt nécessaires pour récupérer les pertes de cours considérables. 

Tant la Fed que la BCE n’envisagent pas les premières baisses prudentes de leurs taux directeurs avant fin 2024 et début 2025 (c’est-à-dire qu’elles n’auront confiance dans la stabilisation de l’inflation sous-jacente qu’à ce moment-là). Malgré ce facteur décourageant, le second semestre de cette année offre néanmoins un certain soulagement aux investisseurs obligataires, notamment si l’inflation sous-jacente commence à montrer des signes de refroidissement de plus en plus marqués.