À l’instar de ce qui s’est passé au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, tous les établissements financiers européens vont devoir revoir leur modèle de revenus, ce qui se traduira notamment par la suppression des rétrocessions. Le prochain choc important sur les marchés financiers pourrait bien mener à une nouvelle vague de consolidations parmi les sociétés de gestion.
Martin Gilbert, directeur général de Standard Life Aberdeen, un géant de l’investissement, a ainsi déclaré à Investment Officer : « La bonne santé des marchés ces dernières années sauve les gérants d’actifs. Dans un contexte moins favorable, on aurait assisté à un nombre bien plus important de fusions. »
Le groupe Standard Life Aberdeen est né de la fusion de deux maisons de gestion écossaises en 2017. Pour éviter de se faire phagocyter par l’explosion des produits passifs et la pression croissante sur les revenus, les gérants actifs doivent proposer une gamme de produits très vaste ou se spécialiser dans une niche.
Licenciements en vue
« Si je devais repartir à zéro, j’ouvrirais une petite société d’investissement spécialisée dans le West End à Londres. Le midi, je pourrais aller déjeuner avec mes collègues ou faire du shopping au lieu de gérer 50 bureaux et 9000 collaborateurs - et tous les soucis qui vont avec. Je n’aurais qu’un bureau et un produit phare. Ce type de modèle dégage actuellement le plus de bénéfices. Bien moins que la quantité d’actifs sous gestion, c’est le chiffre d’affaires qui compte aujourd’hui. », affirme Martin Gilbert.
« Être un géant n’est vraiment pas facile », poursuit le directeur général d’Aberdeen Standard Life. Après la fusion, Standard Life Aberdeen est devenu le plus grand acteur indépendant hors des États-Unis. Pour une société de cette taille, la diversification, tant sur le plan des clients que des produits, est essentielle. En outre, la pression réglementaire croissante oblige les parties à gagner encore en efficacité, ce qui peut notamment se traduire par des licenciements. Dans la mesure où les gérants de fonds, conformément à la directive Mifid II, doivent désormais payer leurs notes de recherche, une période difficile s’ouvre pour les analystes externes.
« Ces dernières années, les maisons de fonds ont dégagé tant de bénéfices qu’elles n’éprouvaient nullement le besoin de travailler de manière plus efficace. Mais les temps ont changé. Ce n’est plus la gestion de l’argent qui coûte de l’argent, mais bien les processus internes. Nous travaillons actuellement à la rationalisation de ces processus, grâce à la numérisation et à l’automatisation. Je pense que d’ici trois ans, seul un tiers des gérants aujourd’hui en activité subsistera. Les pressions sur le chiffre d’affaires vont entraîner des économies à ce niveau », affirme-t-il.
La fin des rétrocessions
Autre conséquence de la directive Mifid II : les produits passifs et les plateformes de simple exécution connaissent une croissance exponentielle. Ces plateformes sont intéressantes pour les gérants de fonds, qui peuvent y trouver directement des clients. Rien qu’au Royaume-Uni, Standard Life Aberdeen estime que plus de 60 milliards de dollars d’actifs sous gestion proviennent de telles plateformes. Ces prochaines années, la stratégie ciblera donc les canaux directs, comme l’explique Martin Gilbert. « On dit que l’accès direct aux clients vaut tout l’or du monde. Or, pour moi, il est tout au moins aussi important d’améliorer les services à nos clients historiques » – soit, en Europe, les banques.
Les établissements bancaires jouent un rôle essentiel dans la mesure où les clients arrivent encore principalement par leurs biais, à la différence de ce qui se fait dans le monde anglo-saxon. Le directeur général de Standard Life Aberdeen table sur la création de nombreuses plateformes bancaires visant à réaliser des économies et estime que même si la Belgique, à l’inverse du Royaume-Uni et des Pays-Bas, a pu contourner l’interdiction des rétrocessions via le conseil « dépendant », les commissions sont tout de même amenées à y disparaître.
« Le conseil devient globalement trop cher. C’est pourquoi les banques traditionnelles doivent acquérir des clients via des plateformes leur permettant de proposer une sorte de « conseil léger ». Les rétrocessions vont donc petit à petit se transformer en frais administratifs. La Belgique finira par s’aligner sur le reste du monde ».
Retour à la case départ
Mais les vents contraires qui souffleront bientôt sur le secteur de la gestion d’actifs seront négligeables comparés à la tempête que vont connaître les assureurs. C’est notamment pour cela que Standard Life Aberdeen a annoncé en début d’année la fermeture de sa branche assurance. Selon Martin Gilbert, « il faudrait vraiment être fou pour ouvrir aujourd’hui encore une compagnie d’assurance. » Pour lui, le regain d’intérêt pour les stratégies multi-actifs est une évolution passionnante.
« Malgré les grandes incertitudes qui planent et la dépendance accrue face au marché et à la performance, il est fantastique de pouvoir gérer le patrimoine d’autant d’individus. Notre secteur est en tout cas plus épargné que celui des assureurs depuis l’entrée en vigueur de Solvabilité 2. La réglementation nous pousse à nous recentrer, comme l’illustre la tendance multi-actifs. Autrefois, il existait trois classes d’actifs où nous investissions selon nos convictions. Les années 90 ont vu l’émergence d’une kyrielle de consultants clamant que nous ne comprenions rien à l’allocation d’actifs, et tout est devenu excessivement compliqué. Nous prenons de nouveau les choses en main et c’est une bonne chose. Nous sommes revenus à la case départ. »