L’effet Matthieu sur les marchés boursiers

Stefan Duchateau

C’est le célèbre sociologue Robert K. Merton qui a pour la première fois parlé de l’Effet Matthieu en 1968. Il s’agit du mécanisme par lequel les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. 

Ce mécanisme s’explique en partie par le statut social plus élevé et la position de pouvoir plus forte des riches, qui leur permettent de s’approprier davantage. Mais l’effet provient avant tout de la différence de propriété des actifs financiers, en particulier de leur composante en actions. 

Des actions pour le long terme

La croissance exponentielle des marchés boursiers entraîne une augmentation considérable du patrimoine des actionnaires, en particulier lorsqu’il s’agit d’investissements détenus au fil des générations successives, dans un portefeuille bien diversifié. 

Un exemple suffit pour illustrer cet effet : dans une étude qui a fait date, Jeremy Siegel a retracé l’évolution d’un dollar investi en 1802 dans un indice représentatif du marché boursier américain. En tenant compte de tous les dividendes réinvestis, sa valeur a atteint l’incroyable somme de 955 000 dollars à la fin de l’année 1990. 

Pour ceux qui préfèrent regarder des statistiques plus récentes : ce même dollar valait 33,5 millions de dollars à la fin de l’année 2024. 

Cependant, si ce dollar de 1802 avait été placé dans des investissements à court terme, sa valeur nominale à la fin de l’année dernière aurait été de 8643 dollars, bien loin de la création de valeur apportée par les actions. Le contraste est saisissant, mais compréhensible.

« Car on donnera à celui qui a »

Nous avons déjà reçu l’avertissement sans équivoque qu’un tel effet s’appliquerait au développement de la société il y a 2000 ans déjà, notamment dans la parabole des talents de Matthieu. Celui qui a beaucoup (parce qu’il a utilisé ses talents) recevra encore plus. Et le peu que vous avez déjà vous sera retiré si vous n’utilisez pas vos talents – même s’ils ne sont pas nombreux.

L’année écoulée a été une nouvelle illustration de l’effet Matthieu, qui ne cesse de s’étendre sur les marchés financiers. Même à plusieurs niveaux. 

Tout d’abord, l’indice mondial a poursuivi son ascension, avec une performance annuelle (indice des cours, exprimé en euros) de 25 %. Un an plus tôt, il était de 17 %. La somme de ces deux années compense largement la perte de 15 % de l’année désastreuse de 2022. 


Graphique 1 : évolution des marchés boursiers en 2024 Image

Il faut bien une différence

Les disparités géographiques confirment la tendance observée depuis une décennie : la meilleure performance est venue des États-Unis, avec une augmentation de plus de 34 % (dont 6 % dus à la hausse du dollar par rapport à l’euro), suivis à distance respectable par l’Inde (+20 %). La remarquable performance du marché boursier chinois (+27 % sur un an) au cours de l’année écoulée compense la perte de 20 % en 2023. 
En bas du tableau des performances pour 2024, on trouve le Portugal (-22 %), le Mexique (-25 %) et le Brésil (-30 %), mais aussi, pour la première fois depuis des années, le Danemark, qui fait figure d’exception avec une perte de 8 %.

Les différences sautent aux yeux lorsque l’on examine les performances sectorielles. Les rendements étincelants du secteur technologique américain (+50 %) en 2024 creusent davantage l’écart avec les autres secteurs et régions. La seule composante qui a fait preuve d’une certaine résistance est le secteur bancaire européen, avec une hausse surprenante de 23 % (après une performance tout aussi excellente en 2023). 

Les performances les plus impressionnantes viennent encore une fois des très grandes valeurs de croissance, dominées par les Sept Magnifiques et l’indice Fang, qui a augmenté de 60 % en 2024. Cela a conduit à une hausse de 48 % de l’indice américain des grandes capitalisations axées sur la croissance, soit environ le double de celle des indices qui se concentrent sur les valorisations attractives ou les petites capitalisations.

The winner takes it all

Cette évolution masque une tendance croissante à la concentration. Alors que la hausse de l’indice boursier S&P était déjà imputable à un nombre très limité de valeurs en 2023, cette tendance s’est encore accentuée au cours de l’année écoulée. Cinq des cinq cents entreprises de l’indice S&P (à savoir Nvidia, Apple, Amazon, Broadcom et Tesla) représentent 50 % de l’augmentation de valeur. 

Une bonne performance boursière, mais entre-temps, la baisse espérée des taux d’intérêt s’est limitée à deux à trois baisses du taux directeur, tandis que les taux d’intérêt à long terme ont continué à augmenter d’un quart à un demi-point de pourcentage en Europe et même de trois quarts de point de pourcentage aux États-Unis et au Royaume-Uni. 

Assez parlé, commençons cette nouvelle année. 

Stefan Duchateau est professeur et rédige des chroniques pour Investment Officer.