Répartition des actifs

L'investisseur orienté vers la valeur doit boire le calice jusqu’à la lie

La faiblesse des taux d’intérêt et le manque de confiance des investisseurs nuisent aux investisseurs orientés vers la valeur. Mais ils ne baissent pas les bras. « Lorsque la tendance s’inversera enfin, le rendement pourrait être énorme. »

Quand j’entends dire que la valeur n’a plus la cote, cela ressemble presque de manière perverse à une douce musique », déclare Ian Butler, gestionnaire du JP Morgan Europe Strategic Value Fund. « L’investissement orienté vers la valeur ne fonctionne que lorsque les investisseurs deviennent trop pessimistes. Lorsque ce moment arrive enfin, les investisseurs peuvent s’attendre à réaliser de très bons rendements. »

Mais pour être honnête, un « déclencheur » est nécessaire, admet Butler. Et il peu probable qu’il se produise dans un proche avenir. Les raisons évidentes à l’origine de la sous-performance à long terme du style orienté vers la valeur ne fondront pas comme neige au soleil.  

Faiblesse des taux d’intérêt

« Le Style orienté vers la valeur rencontre des difficultés pour deux raisons », déclare Isabel Levy, gestionnaire de fonds chez Metropole Gestion, une société parisienne de gestion « value ». « La première est la chute massive et persistante des taux d’intérêt. Il est donc très difficile pour les actions de valeur de concurrencer les actions de croissance, qui profitent davantage des faibles taux d’intérêt. » 
La deuxième raison, selon Mme Levy, réside dans la fragilité de la confiance des investisseurs depuis la crise financière. « Quand on a confiance dans la situation économique, on achète des actions problématiques sous-évaluées. Si ce n’est pas le cas, on achète des entreprises stables et de qualité comme Nestlé, Danone ou Unilever. » C’est précisément ce qui se passe en ce moment. « La grogne règne dans la zone euro depuis 2011. Il n’y a pas de perspective à long terme et des problèmes politiques ou économiques persistent. Aujourd’hui, l’Allemagne est à nouveau sous la menace d’une récession. C’est pourquoi Nestlé a un ratio cours/bénéfice de 27 ou 30, tandis que les actions de valeur ont un C/B moyen de 10. »

Les investisseurs jettent l’éponge

Personne ne niera que les actions de valeur sont bon marché. Mais elles le sont depuis longtemps déjà, et de plus en plus d’investisseurs semblent penser qu’elles le resteront toujours. « Les preuves sont assurément là que certains investisseurs orientés vers la valeur ont jeté l’éponge. La part de marché des fonds de valeur européens est passée de 18% à moins de 10% au cours des onze dernières années », constate Mathieu Caquineau, analyste de fonds de Morningstar. 

Le Français n’a lui-même pas encore perdu courage. « Les actions de valeur sont concentrées dans les secteurs problématiques, mais cela a toujours été le cas à vrai dire. À cet égard, l’investissement orienté vers la valeur n’a pas changé. La valeur demeure un facteur générateur de surperformance à long terme. C’est amplement démontré scientifiquement. Le fait que la valeur n’ait pas porté ses fruits depuis un certain temps ne signifie pas la situation ne changera pas. »

Patience

Les investisseurs orientés vers la valeur doivent donc s’armer de patience et ne rien changer à leur style d’investissement, estime Caquineau. « Un gestionnaire qui a obtenu un rendement inférieur pendant plusieurs années consécutives n’est pas nécessairement un mauvais gestionnaire. Nous avons une préférence pour les gestionnaires qui persévèrent dans leur philosophie d’investissement, y compris lors de périodes difficiles. Généralement, le « style drift » est un signal d’alarme pour nous, un signe qu’un gestionnaire ne sait plus où il en est. »
Par exemple, malgré une forte sous-performance au cours des trois dernières années par rapport à l’indice MSCI Europe Value (-0,82 % à +16,37 %), le fonds Brandes European Value se voit toujours décerner une note « Argent » de la part de Morningstar. « Il s’agit d’un fonds à risque élevé qui se soucie peu de l’indice de référence. Parfois, cela entraîne une sous-performance pendant un certain temps, mais le processus d’investissement est cohérent, mis en œuvre efficacement et axé sur le long terme. » Sur une période de cinq ans, le fonds affiche en effet une surperformance. 

Reste alors la question de savoir quand les investisseurs orientés vers la valeur seront enfin récompensés. Car ce moment viendra, Mme Lévy de Metropole Gestion en est convaincue. « Les taux d’intérêt négatifs ne peuvent pas durer éternellement. Il n’est tout bonnement pas logique de payer une société pour lui prêter de l’argent. Et les investisseurs ont besoin d’argent. Le rendement moyen des dividendes de l’indice MSCI Europe Value est de 5,35%. Un moment donné, il devient tout simplement trop attrayant d’ignorer que les rendements des obligations d’État à 10 ans sont négatifs. »

ESG

Mais les investisseurs eux-mêmes ne devraient-ils pas faire quelque chose pour se protéger de l’extinction, au lieu d’attendre que d’autres investisseurs voient enfin « le jour » ? De nombreuses actions de valeur, à l’instar des sociétés industrielles et des producteurs d’énergie et de matières premières, sont confrontées, par exemple, à des risques ESG élevés. Ne pourrait-on pas accorder plus d’importance aux critères ESG dans le processus d’investissement ?

« L’ESG est en effet très important pour ‘éviter les pièges à valeurs’ », déclare Butler de JP Morgan AM. Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les entreprises de valeur sont toujours « bon marché pour une raison ». Aujourd’hui, ces problèmes structurels sont souvent regroupés sous la dénomination de risques ESG, mais ce type de risque n’est pas devenu plus ou moins important ces dernières années. « Ils sont peut-être plus visibles du fait qu’on leur a attribué un nom spécifique. »

Un avis que partage Mme Levy de Metropole Gestion, qui gère également une version SRI de son fonds depuis 2008. « Les critères ESG sont importants pour toutes les entreprises. Et de notre point de vue, il n’existe pas non plus d’actions de valeur ni même de secteurs de valeur typiques. Les gens considèrent maintenant les banques et les entreprises du secteur de l’énergie comme des entreprises de valeur, mais elles ne l’étaient pas avant 2008. D’entreprise de valeur, chaque entreprise peut également devenir entreprise de croissance, à condition de passer par la bonne transformation. Wolters Kluwer, qui s’est réinventé en tant que fournisseur d’informations numériques, en est un exemple. »
Les entreprises sont donc en constante évolution, au contraire des investisseurs orientés vers la valeur. Ils continuent tout simplement de faire la même chose, à savoir investir dans des entreprises sous-évaluées. Mais la réussite n’est pas vraiment au rendez-vous depuis longtemps déjà désormais. Et personne ne sait quand la tendance s’inversera. En tout cas, pour l’heure, ils ne semblent pas encore avoir bu le calice jusqu’à la lie.